Je suis Hermann

Pondrôme 11/05/2023

Écrire hier était impossible. La tête pleine de sentiments, de voix, de joie, de douleurs et de sourires.
Le sourire de Zaineb.

 

Cette famille, bon sang. Est-il possible d’être aussi fort ? Aussi courageux ?
Le sourire de Madame Antonio. Nina.

 

Et cet amour sublime entre elle et son mari. Et cette amitié si forte entre deux femmes d’Irak et d’Ouganda.
Puis du Congo, si on rajoute Bernadette, et sa petite Maravilla.
Trop de sons, trop de sucre, et pas assez de temps ou de pouvoir pour les aider.

Ce matin, on retourne chez Zaineb. Puis on reprend la route, vers l’inconnu total. Lorsque le doute sera dans nos esprits, ces mais nouveaux des 4 coins du monde seront à nos côtés pour nous souffler : “Inch’Allah positif !”

 

Je vous aime tous et toutes.

 

Et dans la pénombre d’un conteneur pour les résidents qui avaient le Covid, je me sens vivante, plus que jamais. Et fière de ce projet.
“Along the walk”, where the world is open.

 

Samedi 13 mai.

 

Villance, chez Joachim.

Aujourd’hui, on a eu du mal à quitter Redu. Tout nous y retenait : Suzanne et ses mille vies passionnantes, Yves le Meunier et son sourire caché. Et puis Georgette.
Cette jeune femme, qui s’appelle Alexandra avant 9h du matin et après 18h30, qui a préféré prendre un nom de vieille dame pour ouvrir sa supérette-librairie-lieu d’accueil adossé à l’église. On aurait pu y passer la journée.
Puis on est reparties, à travers bois, dans des chemins accueillants au milieu des arbres nous protégeant de l’orage.
Arrivées à Villance, aaaaaaah, Villance…

 

Pluie de dingue, semelle qui lâche, mal partout.
Mais ce soir, nous avons la maison de la maman de Joachim pour nous 2.
Alors, oui, on a tout nettoyé, ok. Mais ce soir, on se cuisine des pâtes, on boit une bière, on essaie de recoller ses chaussures, on se raconte et on fait un petit feu.

 

Au milieu des chats. Juste à 2. C’est bien.
Ce soir, c’est le milieu de l’aventure. Demain, on entame la deuxième et dernière partie. On est franchement rassurées pour le logement parce qu’à part à Bertrix, on risque d’être accueillies tous les soirs. C’est énorme. Comme une envie de pleurer de gratitude. On le fera peut-être. Ce ne sera pas la première fois de l’aventure.
Et on a un magnifique pain cuit ce matin.
On n’annonce pas de pluie demain.
Tant mieux.

 

J’aurai besoin de pauses.

 

De beaucoup de pauses.
Mais Frédéricque nous attend à Paliseul. Et je suis certaine que ce sera riche et plein, une fois encore.
Julie va sortir de la douche.
On va faire du feu.
On va cuisiner.
On va rire.
Ce sera parfait.
Merci.

 

Dimanche 14 mai
Quelque part entre Opont, Framont et Paliseul.

 

Bientôt 17h. Enfin, je crois.

Depuis ce matin, il n’y a que Julie et moi. Nous n’avons plus parlé à personne depuis hier midi. Enfin, à l’exception de la Baronne de la Ferme du Bois d’en-Haut, que Julie appelle “à tête d’asperge”, sorte de cliché ambulant de la pauvre âme riche, esseulée, étouffée dans un paraître effrité.
En même temps, entre les chevreuils, les lièvres, un marcassin ou sanglier débonnaire, un poisson fou et les oiseaux qui nous accompagnent, on n’est jamais seules.
Encore le serions-nous…
C’est indispensable d’être à 2.

 

J’ai mal partout. Il me faudrait me pencher sur ce corps à un moment. Et écrire dessus. Demain, ou ce soir peut-être.
La bonne humeur est là, et la compréhension mutuelle est partout. Entre Julie et moi, j’ai l’impression qu’elle explose.
C’est parfait.

Lundi 15 mai, après 14h30.
Quelque part après Blanche-Oreille.

 

Mes émotions prennent de plus en plus de place.

 

Ça a commencé par la maison que Frédéricque voulait acheter depuis longtemps et qu’elle habite désormais. Cette maison, ses projets foisonnant pour ses murs. Et la colère, la souffrance qui l’habitent et meuvent chacune de ses actions, chacun de ses mots…

 

Puis sa maman est arrivée. Avec de la tarte. Et le goût de la rhubarbe.
J’ai eu 8 ans à nouveau. Au milieu d’une table accueillante, cette rhubarbe, c’était l’enfance, la sécurité, le réconfort.
Et le lendemain, notre hôte nous a offert un petit sac avec un pique-nique pour la route : du fromage, des bananes, des sardines…

 

Sardines : alimentation principale des jeunes gens en exil.

 

Une boîte en fer que j’ai beaucoup distribuée.
Une boîte que l’on nous a offerte et que l’on a partagée. Un trait d’union infime, minime, presqu’insignifiant à la comparaison.
Mais un trait d’union.

 

Les sardines…
Ces petits poissons qui s’organisent en ban pour faire fuir les prédateurs.
Et que j’ai savourés.
Chaque bouchée me rapprochait de ces âmes en recherche d’un endroit pour enfin vivre dignement.
De la rhubarbe à la sardine.
Du confort à la violence de la route quand on n’a pas de Droits.
Du réconfort, les deux.
De l’enfance à l’âge adulte obligatoire et cruel.
Mais du réconfort, les deux.

 

Merci Frédéricque pour cet intense mélange de beauté, de partage, de colère.
Tout à l’heure, nous sommes attendues à Bertrix. En cinq minutes, on avait un lit qui nous était offert. La chaîne, le lien, ça marche. C’est fort et réconfortant.
Comme un peu de rhubarbe.
Ou de sardines.

 

17 mai. Jour 9.
Orgeo.
Le matin.

 

Julie fait du Taï-shi avec Babette.
Babette qui a clairement sauvé cette dernière journée avec son baume au plantain. Une cloche vous gâche la vie, Babette vous la sauve.
Nous marcherons aujourd’hui pour la dernière fois. Et je n’étais pas certaine d’arriver jusque là.
Pourquoi ?

 

Le doute. Doute posé sur moi, sur mon corps.
Mon corps et moi, on n’est pas toujours d’accord. On l’est rarement à dire vrai. Depuis l’adolescence, nous cohabitons gentiment mais on se critique beaucoup.

 

Miroir de l’extérieur sans doute.
Tu devrais bouger plus, tu devrais manger moins, tu devrais faire du sport, tu devrais mieux t’arranger, être plus féminine.

 

Tu devrais.

 

Je devrais.

 

J’ai essayé puis abandonné. Parce qu’à chaque fois qu’un kilo s’en va, il revient. Mon corps fabrique des couches et des couches de protection autour de moi pour ne pas que je vois ma propre trouille : trouille de ne pas être aimée, désirée, entourée.

 

J’ai 45 ans depuis 3 semaines. Et je pensais ne pas pouvoir le faire. Je marche depuis 9 jours. J’ai mal partout. Mais je n’ai jamais songé à m’arrêter.

 

J’ai 45 ans, je suis ronde et j’ai réussi.

 

Je ne suis pas périmée.

 

Point.

 

Christelle Delbrouck

 

 

Différentes, mais au même endroit.

 

elle c’est Christelle, moi c’est Julie
elle cherche l’ombre, moi l’éclaircie
elle aime la friture et moi le fromage
Elle est plutôt très tôt le matin et moi pas trop.
Est-ce que nous sommes différentes ? Oui indéniablement.
Mais si on parle d’essentiel, de vraies choses, de pourquoi on est là, de la place qu’on donne et de celle qu’on reçoit, de pourquoi on fait ce métier et de quel sens il a … alors, on peut :
– soulever des montagnes et faire tourner des chemins
– chanter très fort dans un micro pour un cheval
– créer du lien, même sous la pluie
– faire un tipi sous nos ponchos en remerciant Zeus d’être présent
– regarder le monde en versant une petite larme
– faire un gros fuck à des sapins de noël
– écouter des gens en remerciant l’instant

 

Un jour elle m’a dit que mon couple était comme une bonne vieille armoire ardennaise, faite de vrai bois de la forêt, une armoire robuste. Maintenant que j’en vois tous les jours chez nos hôtes, je comprends.

 

Aujourd’hui, nous marchons côte à côte, chargées et soutenues par un beau petit paquet d’âmes aussi belles que fortes, et nous travaillons la robustesse au détriment de la rentabilité.
Ensemble, nous sommes robuste
Christelle mon ami, merci.

 

Julie Doyelle

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